mardi 7 juillet 2009

Acierix

LES PARADOXES DU MODELE FRANÇAIS

Les Français entretiennent un rapport particulier au travail : 70 % considèrent que le travail est "très important" contre 50 % des Allemands ou 40 % des Britanniques. Cela peut s'expliquer en partie par le taux de chômage, l'angoisse liée à l'insécurité de l'emploi. Mais pas seulement, comme le montre un sondage. A la question : si vous pouviez disposer de votre revenu sans avoir à travailler, arrêteriez-vous de travailler ? 55 % des sondés ont répondu par la négative. Plus de la moitié des salariés français considèrent que "le travail est nécessaire pour développer pleinement ses capacités", ce qui est le score le plus important en Europe occidentale. Le paradoxe est que plus que les autres pays européens, les Français considèrent que le travail devrait prendre une place moins grande dans leur vie.





La singularité française porte sur les attentes à l'égard du travail. Il n'est pas seulement une façon d'avoir un revenu, il est très investi affectivement : c'est un moyen d'expression et de réalisation de soi, une fierté d'être utile dans la société. Le salarié français est celui qui met le plus en avant le "plaisir" lorsqu'il évoque le sens du travail, à la différence des Allemands qui parlent plus volontiers de "sécurité" ou des Anglais qui citent en majorité la "routine". C'est peut-être pour cette raison que les Français sont plus sensibles que d'autres au sentiment de "déclassement" lié à certains emplois. C'est ainsi que les métiers de services aux personnes ne sont pas toujours considérés comme de "vrais" emplois, mais comme des "petits boulots". Dans la société française, l'opposition entre d'un côté ce qui est grand, noble, ce qui élève, honore, et de l'autre ce qui est bas, vil, ce qui abaisse, dégrade, constitue un repère fondamental. L'identité de chacun est concernée.


Si les Français souhaitent consacrer moins de temps au travail, ce n'est pas tellement à cause du travail lui-même (75 % déclarent que leur emploi est intéressant, ce qui est conforme à la moyenne européenne), mais parce qu'ils souffrent de conditions de travail dégradées et de mauvaises relations avec la hiérarchie. La France se distingué par une proportion de salariés estimant être soumis à un travail stressant plus importante (près de 50 %) que dans tous les autres pays européens (source : ISSP, 2005). De plus, ils ressentent souvent de la désillusion en jugeant que leur implication n'est pas reconnue, leur sentiment de frustration étant évidemment d'autant plus fort que leur relation au travail est très affective. En outre, ils sont nombreux à trouver que les termes de l'échange ne sont pas équitables : l'insatisfaction sur les salaires et sur les chances de promotion est plus élevée en France que dans la plupart des autres pays européens. Les Français se montrent parmi les plus sensibles aux inégalités salariales, aux parachutes dorés touchés par les grands patrons et au fait que les bénéfices des entreprises vont dans les poches des actionnaires plutôt que dans une augmentation des salaires.
"Le désir de voir le travail prendre moins de place n'est en aucun cas le signe d'un désir de loisirs ou d'une inappétence pour le travail, mais la marque d'un dysfonctionnement de la sphère du travail assez spécifique à la France (dégradation des conditions de travail et sentiment d'insécurité de l'emploi) ainsi que l'expression d'un désir positif de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale.


Une des spécificités françaises tient également à l'inquiétude sur l'avenir. A la question de savoir s'ils sont "confiants dans leur capacité de garder leur emploi dans les mois à venir", les Français sont les premiers (ex æquo avec les Hongrois) à se dire "pas confiants du tout". Et dans la perspective d'un licenciement, ils sont parmi les plus pessimistes sur "les chances de retrouver un travail demandant les mêmes compétences et la même expérience dans les six prochains mois.
Pendant près de trente ans, la société française a fonctionné sur un pacte social que l'on a appelé le "compromis fordiste". Les salariés étaient loin d'avoir toujours une vie facile, mais ils faisaient le pari d'un avenir meilleur, pour eux, et surtout pour leurs enfants. La démocratisation de la société se manifestait en effet par l'extension à l'ensemble de la population des avantages acquis par les catégories les mieux protégées. Le sentiment général est qu'aujourd'hui, c'est l'inverse : on demande aux salariés considérés comme des privilégiés de renoncer à leurs acquis au nom de l'équité. L'alignement ne se fait plus par le haut, mais par le bas... à tel point qu'un Français sur deux redoute de se retrouver un jour SDF.

lundi 6 juillet 2009

Acierix


IL Y A TROP DE GREVES EN FRANCE


Selon une idée reçue largement véhiculée par les médias et de nombreux hommes politiques, la France détiendrait des records en nombre de jours de grèves. Selon d'autres sources, il y aurait aujourd'hui moins de jours de travail perdus à cause des grèves dans les entreprises françaises que dans les firmes américaines... Des études sérieuses montrent qu'effectivement, parmi les pays industrialisés, la France serait plutôt en queue de peloton en ce qui concerne les jours de grève, loin derrière le Royaume-Uni, l'Espagne ou l'Italie (Guy Groux, Jean-Marie Pernot, La Grève, Presses de Sciences Po, 2008).
Le droit de grève est inscrit dans le Code du travail et garanti dans la Constitution de 1946 : la grève est la forme institutionnalisée et réglementaire du conflit collectif du travail. C'est un droit qui a été obtenu de haute lutte en 1864. Dans le capitalisme sauvage du XIXe siècle, les ouvriers ont parfois utilisé la cessation d'activité comme forme de contestation, mais c'était un délit sévèrement réprimé (la répression des grèves des canuts lyonnais en 1831 et 1834 a beaucoup marqué le mouvement ouvrier). Durant tout le XXe siècle, les grèves ont joué un rôle important dans l'amélioration des droits des travailleurs et de leurs conditions de travail : augmentation des salaires, réduction de la durée du travail, congés payés, représentation des salariés, etc.



La réglementation sur la grève est beaucoup moins contraignante que dans d'autres pays, par exemple l'Allemagne. En Allemagne, la grève est un droit collectif, réservé aux syndicats, et très encadré : elle ne peut entrer en vigueur que si au moins 75 % des salariés syndiqués votent (à bulletin secret) en faveur de la grève ; elle se termine si 25 % des salariés concernés votent la reprise du travail. En France, c'est un droit individuel (la décision de participer à la grève est individuelle). Pour qu'une grève soit licite, elle doit cependant remplir certaines conditions : le mouvement de grève doit être collectif (à partir de deux personnes dans le cadre d'un conflit propre à l'entreprise ; à partir d'une personne pour un mouvement plus large). Il faut rappeler aussi que la grève est définie comme "la cessation totale du travail afin d'appuyer des revendications professionnelles" (ministère du Travail). Le comptage des grèves prend donc en compte uniquement "le nombre de journées individuelles non travaillées" (JINT), à savoir les arrêts de travail d'au moins vingt-quatre heures. Il ne retient pas les conflits collectifs sans arrêt de travail, ou les débrayages momentanés.




Le déclin de la grève ne signifie pas que la conflictualité a disparu... ce sont les formes des conflits sociaux qui se sont modifiées. Une étude du ministère du Travail (Premières synthèses, DARES, février 2007) montre que la conflictualité au travail a été très importante au cours de la dernière décennie, elle se serait même intensifiée. Entre 2002 et 2004, un tiers des établissements de plus de 20 salariés a connu au moins un conflit collectif, portant le plus souvent sur des revendications salariales ou sur le temps de travail. La grande distribution, par exemple, qui a abusé des emplois précaires et du temps partiel, a connu ces derniers temps des conflits alors qu'il n'y en avait pratiquement jamais eu antérieurement. Mais l'action collective est plus fréquemment locale (limitée à un établissement) et elle a pris d'autres formes que la grève classique, la grève du zèle (l'application stricte du règlement, qui provoque systématiquement des troubles importants), la grève perlée (arrêts momentanés), la manifestation, mais surtout les pétitions et le refus d'heures supplémentaires, ce qui la rend beaucoup moins perceptible.



La spécificité française réside principalement dans l'importance des grèves dans le secteur public. Il est vrai que celui-ci est le dernier bastion où il est possible de faire grève sans crainte de perdre son emploi. Lorsque les salariés de la fonction publique se mettent en grève, c'est souvent pour protester contre une réforme qui vise à supprimer certaines garanties dont ils bénéficient (par exemple les régimes spéciaux de retraite). Ils sont alors accusés de "corporatisme" ; ce sont des "nantis", "arc-boutés sur des acquis sociaux" datant de l'après-guerre. C'est une idée reçue qui n'est pas forcément partagée par tous les Français puisque des sondages ont montré que des mouvements sociaux qualifiés (à tort ou à raison) de "corporatistes" (les cheminots, les enseignants, etc.) bénéficiaient plutôt d'un capital de sympathie dans l'opinion publique.
Nicolas Sarkozy, durant sa campagne présidentielle, avait promis de mettre un terme à l'insupportable "prise en otage des usagers" engendrée par les grèves dans les services publics, tout particulièrement les transports en commun...





En août 2007 a été votée une loi "sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs". Sans mettre en place une véritable obligation de service minimum, cette loi instaure la nécessité, pour les salariés des entreprises de transports publics, d'indiquer 48 heures à l'avance qu'ils ont l'intention de faire grève, pour permettre de réorganiser le service en substituant des non-grévistes aux grévistes. Chaque entreprise doit élaborer un plan de transports avec les dessertes prioritaires, les plages horaires assurées, ainsi qu'une information sur "les perturbations prévisibles du trafic" destinée aux usagers. La loi pose aussi le principe de l'obligation de négocier en amont : le dépôt d'un préavis de grève ne pourra intervenir qu'après une négociation préalable entre l'employeur et la ou les organisations syndicales représentatives. Dans le même esprit, en août 2008, a été votée une loi créant "un droit d'accueil à l'école primaire pendant le temps scolaire" : elle impose aux enseignants grévistes de se signaler à leur hiérarchie 48 heures avant le début du mouvement et elle exige des communes qu'elles organisent l'accueil des élèves des écoles primaires (publiques ou privées sous contrat) en toutes circonstances (grève ou "absence imprévisible" d'un enseignant).


De nombreux syndicalistes ont vu dans ces nouvelles lois le prélude à une remise en question du droit de grève. L'avenir nous montrera si elles modifient réellement les processus de négociation. Il est vrai qu'en France, la tradition voulait que la régulation sociale passe beaucoup plus par l'affrontement que par le dialogue entre partenaires sociaux. Dans de nombreux pays, la grève est considérée comme le dernier moyen d'action, lorsque toutes les voies de la négociation ont échoué. En France, la grève (ou du moins le dépôt d'un préavis de grève) est souvent un préalable pour que la direction d'une entreprise (dans le secteur privé) ou un ministre (pour la fonction publique) accepte un rendez-vous avec les syndicats et qu'une négociation commence à s'engager. "Lors de certaines grèves", la tâche la plus difficile, pour les grévistes et pour les négociateurs, semble être de rencontrer quelqu'un qui, en face d'eux, soit habilité à prendre une décision et à s'y tenir. Bien plus, certaines grèves semblent naître de cette difficulté même.
Le nombre de journées individuelles non travaillées pour fait de grève était en France de 4 millions en 1976, il n'était que de 1,2 million en 2005 (derniers chiffres connus). Cela ne signifie pas que la conflictualité soit en baisse, loin de là. Le changement est que les formes de mobilisation collective sont autres, surtout dans le secteur privé.

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DES SYNDICATS TROP DIVISES ET PEU REPRESENTATIFS

La France est le pays européen qui compte le moins de syndiqués... et le plus grand nombre de syndicats. Il y a aujourd'hui au moins neuf organisations syndicales : la CGT, FO, la CFDT, la CFTC, la CGC, le G10-Solidaires, la FSU, l'UNSA, la CNT, etc. Selon un récent sondage, 36 % des Français déplorent la division excessive des syndicats. Pour une très grande majorité d'entre eux (79 %), l'idéal serait d'avoir un, deux ou trois syndicats nationaux, comme ailleurs en Europe.
La tradition révolutionnaire du syndicalisme français explique les divisions syndicales. Le syndicat n'entend pas seulement représenter des intérêts, il a un projet de transformation de la société. Les clivages idéologiques ont nécessairement entraîné les divisions syndicales. La CGT, créée en 1895, était la première et l'unique centrale syndicale jusqu'en 1919, date de création de la CFTC. Cette dernière s'est constituée pour s'opposer à la lutte des classes prônée par la CGT : elle se référait au catholicisme social. FO fut fondée en 1948 en opposition à la CGT, trop proche des communistes. En 1964, la CFTC s'est transformée en CFDT pour affirmer son indépendance à l'égard de l'Église catholique (elle s'est déconfessionnalisée, mais une minorité de ses membres est restée dans la CFTC maintenue. Lorsque la CFDT a effectué son "recentrage" - l'abandon de la perspective autogestionnaire- une scission refusant l'adaptation du syndicalisme à l'économie de marché a donné naissance, en 1989, aux syndicats SUD (Solidaires, Unitaires, Démocratiques), devenus par la suite G10-Solidaires.



Pour comprendre les références et l'organisation du syndicalisme français, il faut aussi prendre en compte le rejet du "corporatisme" : pour justifier leur action, les syndicats doivent toujours invoquer la solidarité et l'intérêt général. A part quelques exceptions comme les dockers ou les journalistes, les salariés ne sont pas organisés en syndicalisme de métier. Toute organisation défendant uniquement les intérêts d'un métier, d'une catégorie, est suspectée de "corporatisme". Si le corporatisme a si mauvaise presse en France, c'est qu'il renvoie à l'Ancien Régime et à la période pétainiste. La Révolution française a voulu abolir les privilèges en supprimant les corporations (loi Le Chapelier, 1791). Le gouvernement de Vichy a tenté de les réhabiliter à travers la Charte du travail (1941), qui créait pour chaque profession "un organisme corporatif à compétence sociale et professionnelle" tandis que tous les syndicats d'employeurs et de salariés étaient dissous. Dès la Libération, la Charte du travail a été abolie et les syndicats ont été rétablis (à condition de ne pas avoir collaboré). Mais "le syndrome de Vichy" a marqué durablement les esprits : "Les comités d'entreprise et les délégués du personnel ont été des instruments de défense des salariés, jamais des instruments de coopération ni d'implication dans les affaires de la firme".



Depuis la fin des années quatre-vingt, on parle parfois d'un "regain du corporatisme". Plusieurs mouvements revendicatifs ont eu pour origine le malaise propre à une catégorie spécifique : les infirmières (1988), les transporteurs routiers (2000), les intermittents du spectacle (depuis 2009), etc. De nouvelles organisations syndicales comme les SUD ont connu un grand succès en se centrant sur des revendications catégorielles (SUD-Rail, SUD-PTT, SUD-collectivités territoriales), mais elles les articulent systématiquement à des solidarités plus larges, et donc à l'intérêt général.
Peu après la Libération, une loi a recensé les critères à retenir pour qu'un syndicat soit considéré comme "représentatif" : l'indépendance, notamment financière, l'expérience et l'ancienneté... et l'attitude patriotique pendant l'Occupation. Un décret de 1966 a établi et figé la liste des cinq organisations représentatives : la CGT, la CFDT, FO, la CFTC et la CGC pour les cadres. Selon le Code du travail, tout syndicat affilié à l'une de ces cinq confédérations était représentatif de droit, ce qui lui permettait de bénéficier de nombreux droits : il pouvait désigner des délégués syndicaux, présenter des candidats au premier tour des élections professionnelles, négocier des accords collectifs, participer à la gestion des organismes paritaires, recevoir diverses subventions, etc. Mais le paysage syndical a bien changé depuis cette époque : de nouvelles organisations se sont constituées et ont pris beaucoup d'ampleur (notamment les G10-Solidaires, la FSU, l'UNSA). Pour pouvoir présenter localement des candidats à une élection professionnelle, les organisations qui ne bénéficiaient pas du label de représentativité devaient à chaque fois la prouver en allant devant les tribunaux.



La question de la représentativité des syndicats est devenue brûlante depuis quelques années, parce qu'il y a de plus en plus de négociations d'accords au niveau des entreprises, des branches professionnelles ou de l''Etat. On a parfois assisté à des situations assez rocambolesques : un syndicat réputé représentatif, mais très minoritaire, validait, par sa seule signature, un accord dont les syndicats majoritaires ne voulaient absolument pas.
La loi du 31 janvier 2007 sur "la modernisation du dialogue social", qui renforce le rôle de la négociation collective, soulevait la question de la légitimité des signataires. Les syndicats patronaux et les syndicats de salariés ont engagé des discussions sur les critères de la représentativité, le financement des organisations syndicales, la validation des accords signés, etc. Une "position commune" a été signée en avril 2008 par les deux plus importantes organisations de salariés, la CGT, la CFDT, par le Medef et la CGPME pour les organisations patronales, elle a été rejetée par les organisations syndicales minoritaires. Ce texte proposait notamment qu'une section syndicale ait recueilli au moins 10 % des suffrages du personnel pour participer à des négociations avec l'employeur et qu'un accord ne puisse pas se faire sans l'aval d'au moins 30 % du personnel représenté par un ou plusieurs syndicats. Ce texte a été repris comme base dans la loi sur la "démocratie sociale" votée en juillet 2008. La représentativité des organisations syndicales s'évaluera dorénavant en fonction de l'audience électorale : le seuil de représentativité est fixé à 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles dans les entreprises, et à 8 % dans les branches et au niveau interprofessionnel. En choisissant comme critère les élections professionnelles en entreprise (et non les élections prud'homales, où le taux d'abstention est plus important), l'implantation syndicale est privilégiée.
L'introduction d'un seuil de représentativité vise explicitement à réduire le nombre des organisations syndicales. On a souvent opposé, ces dernières années, deux formes principales de syndicalisme. D'un côté, un "syndicalisme d'opposition", plutôt contestataire, incarné par la CGT, la FSU, et les G10-Solidaires, auquel on peut ajouter la CNT, qui se revendique de la tradition révolutionnaire anarcho-syndicaliste. De l'autre, un "syndicalisme réformiste", prônant le développement du dialogue social, avec en tête la CFDT, mais dans lequel on peut inclure aussi FO, l'UNSA, la CGC et la CFTC. Un des effets de la réforme de la représentativité devrait être une recomposition du paysage syndical, avec un certain nombre de regroupements. Il est encore trop tôt pour présumer de la façon dont se feront ces regroupements, mais il s'appuieront sans doute sur des proximités "idéologiques".

Effectifs des syndicats et audiences électorales

Effectifs Elections prud'homales
estimés de décembre 2008
(% des suffrages exprimés)

CGT 550 000 33,97 %
CFDT (493 000 21,18 %
(600 000
FO 300 000 15,81 %
CFTC 109 000 8,70 %
UNSA 130 000 6,25 %
CFE-CGC (80 000 8,20 %
(100 000
Union syndicale
Solidaires-Sud (80 000 3,82 %
(90 000
FSU 120 000 1,42 %
Total 1,9 à 2 millions 100 %



jeudi 2 juillet 2009

Acierix

"Il n'y a quasiment plus de syndiqués"

La France se singularise par la faiblesse de son taux de syndicalisation. Il y aurait aujourd'hui un peu moins de deux millions de syndiqués, soit moins de 8 % des salariés (le taux de syndicalisation moyen dans l'Union européenne à 25 est estimé à 25 % par la Commission européenne). Et plus d'un salarié syndiqué sur deux travaille dans le secteur public.
S'il est exact que le nombre de syndiqués a considérablement chuté depuis trente ou quarante ans, il faut savoir que mises à part quelques périodes particulières (le Front populaire, la Libération, l'après-mai 68), le syndicalisme français n'a jamais été un syndicalisme de masse. Il y a rarement eu plus de 20 % de salariés syndiqués. Le fait qu'il n'y ait jamais eu beaucoup de syndiqués renvoie à l'Histoire de France et à certaines caractéristiques essentielles du droit syndical.



Une des causes de la désyndicalisation tiendrait à l'"approche trop idéologique" des syndicats (selon 67 % des salariés interrogés par le sondage TNS-SOFRES de mai 2008). On dénonce souvent la "politisation" des syndicats français : leur idéologie "lutte de classes" les rendrait peu aptes aux compromis, tant avec l'Etat-patron qu'avec les employeurs privés. La politisation des syndicats est liée à l'histoire du mouvement ouvrier en France. Avec la loi Le Chapelier (1791), la Révolution française a supprimé les corporations, parce qu'elles encadraient strictement le marché du travail sous l'Ancien Régime et qu'elles entravaient la liberté des individus. Cette loi a eu comme effet l'interdiction des associations professionnelles et donc des syndicats jusqu'en 1864. Les organisations ouvrières avaient tendance à se radicaliser dans la clandestinité. Tout au long du XIXe siècle, les débuts de l'industrialisation, les ouvriers ont souvent joué un rôle central dans les crises politiques qui ont secoué la France (1830, 1848, 1871), et ont été les principales victimes de la répression. "La semaine sanglante" qui a suivi la défaite des communards a particulièrement marqué les esprits. Lorsque la CGT, créée en 1895, a adopté la charte d'Amiens (1906), elle s'affirmait résolument anti-capitaliste. "Lanarcho-syndicalisme" (un syndicalisme révolutionnaire se référant à la lutte de classes) l'a nettement emporté sur l'option du "syndicalisme de services" adopté dans certains pays.


Lorsqu'on parle de la crise du syndicalisme, on évoque souvent une crise de la "représentation". Puisqu'ils ont peu d'adhérents, les syndicats ne représenteraient qu'eux-mêmes... Le syndicalisme français a, là aussi, une spécificité : il est construit sur une conception "essentialiste" de la représentation : une organisation syndicale représente (par essence) la "communauté" des salariés, y compris ceux qui ne sont pas syndiqués. Mais les salariés n'appartiennent plus à une communauté homogène, leurs intérêts de sont beaucoup diversifiés. Porteurs d'attentes beaucoup plus individualistes, ils perçoivent de moins en moins l'utilité d'adhérer à un syndicat. Ceci d'autant plus que les entreprises s'efforcent de renforcer le rôle de l'encadrement et de diminuer celui des représentants syndicaux comme porte-parole des salariés.
Les transformations du système productif et un marché du travail en crise sont souvent mis en avant pour expliquer la diminution du nombre de syndiqués. On observe une forte baisse des adhésions chez les ouvriers (environ 6 %), expliquée en partie par la fragilisation de leur statut, avec le déclin des emplois dans l'industrie traditionnelle (comme la sidérurgie par exemple, qui était un "bastion" du syndicalisme), ou la multiplication des formes particulières d'emploi (intérim, sous-traitance, etc.), qui entraîne une désintégration de la communauté de travail (les salariés d'un même site appartiennent à des entreprises différentes). Les employés sont peut syndiqués (5,5 %), mais c'est une constante : le syndicalisme a toujours eu du mal à s'implanter dans le secteur tertiaire (excepté le secteur public). En revanche, on note une nette croissance du nombre de syndiqués chez les cadres et professions intermédiaires du privé (respectivement 14,4 % et 10,5 %) ; ceci correspond à une augmentation de ces catégories dans la population active, mais aussi sans doute à une relative dégradation de leurs conditions de travail (source : INSEE, Données sociales, édition 2006). En 2005, en moyenne, tous secteurs confondus, sur dix salariés syndiqués, trois sont cadres, trois exercent une profession intermédiaire, deux sont employés, deux sont ouvriers (source : DARES, avril 2008). La référence habituelle des syndicats à "la classe ouvrière" est certainement appelée à disparaître... L'action syndicale a également beaucoup évolué avec le changement de profil des adhérents. Les syndicalistes distribuaient des tracts le matin, au moment des prises de postes ; aujourd'hui, les informations sont communiquées essentiellement par messagerie électronique.
Il faut aussi rappeler qu'en France, l'adhésion à un syndicat ne donne ni droits ni avantages, contrairement à ce qui se passe dans de nombreux autres pays, où elle offre l'accès à certains services (coopératives d'achat, mutuelles, assurances, banques, etc.), voire même à des indemnités de chômage. L'adhésion est un acte militant.


Un des paradoxes du syndicalisme français, c'est qu'il a un faible nombre d'adhérents, mais que les syndicats ont néanmoins du poids. Durant les grandes grèves de l'automne 1995, tous les journalistes étrangers s'étonnaient du nombre de grévistes dans un pays sans syndiqués ! D'une part, le poids institutionnel des confédérations syndicales est important, en raison de leur présence dans de nombreux organismes officiels et dans toutes les négociations (au niveau national, au niveau des branches professionnelles et dans les entreprises). D'autre part, le pouvoir de mobilisation des syndicats peut être important car ils sont largement représentés dans les entreprises et les administrations. L'implantation syndicale se serait même renforcée depuis 1996. En 2005, plus de 40 % des salariés déclaraient qu'un syndicat était présent sur le lieu de travail (source : Premières synthèses avril 2008, DARES, ministère du Travail). L'implantation syndicale est tout à fait comparable dans le secteur public et dans les grands établissements du secteur privé. C'est dans les petits établissements que les syndicats sont rarement présents.
Contrairement à une idée reçue, les syndicats n'ont pas perdu toute leur crédibilité. Un sondage (TNS-SOFRES, mai 2008) nous indique que 58 % des salariés leur font "tout à fait" ou "plutôt" confiance et que 70 % les jugent efficaces. Parmi les raisons avancées pour expliquer la faiblesse des adhésions, on remarque que figure en premier lieu la "peur des représailles" (41 %). L'hostilité du patronat à l'égard du syndicalisme a toujours existé, des syndiqués ont souvent été pénalisés dans leur carrière. Dans un contexte où l'emploi est fragile, il est assez normal que les salariés soient craintifs.
Les salariés auraient en fait de plus en plus une conduite "utilitariste" : ils savent qu'ils peuvent profiter des bénéfices de l'action collective sans y contribuer, en payant une cotisation au syndicat ou en faisant grève. Quant aux syndicalistes, ils ont de plus en plus tendance à se comporter avec les salariés comme les députés avec les électeurs de leur circonscription : ce qu'ils espèrent en contrepartie de leur activité, ce ne sont pas des adhésions mais des votes pur leur organisation aux élections professionnelles.

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"Le travail ne paie plus"


Les formes modernes d'organisation du travail comme l'idéologie managériale exigent que les salariés s'engagent "à fond" dans leur travail. Mais ceux-ci n'ont pas véritablement le sentiment d'en retirer un bénéfice.
Ce qui vient le plus immédiatement à l'esprit, ce sont les rémunérations financières, salaires et primes de différentes natures. L'instauration des 35 heures en 2000 (de nombreux accords prévoyaient une modération salariale de longue durée en contrepartie de la réduction du temps de travail) et la financiarisation des entreprises (une partie importante est destinée, dans les entreprises cotées, à rémunérer les actionnaires) ont contribué à une véritable stagnation des                                salaires.



Il existe d'autres formes de reconnaissance : promotion, perspectives de carrière, formations, mais elles sont très limitées en période de difficultés économiques. Il y a également ce qu'on appelle la "reconnaissance symbolique". Elle prend d'autant plus d'importance que les autres modes se tarissent, et peut se manifester sous la forme d'une autonomie accrue, de responsabilités plus étendues, d'une prise en compte des besoins réels au travail et du droit à être entendu. L'entreprise moderne joue beaucoup sur ces attentes et prétend transformer ses salariés en véritables interlocuteurs. L'instauration de multiples groupes ad hoc, de projets ou de qualité, les entretiens généralisés avec le supérieur hiérarchique immédiat tendent à donner l'impression d'un monde du travail plus démocratique.
Les enquêtes de terrain révèlent pourtant que la question de la reconnaissance peut faire l'objet de fortes frustrations et même de souffrances.


Nombre de salariés se plaignent d'une méconnaissance de leurs problèmes et besoins de la part de leurs supérieurs hiérarchiques. Ceux-ci ne seraient pas en capacité de mesurer réellement les difficultés que peuvent rencontrer leurs subordonnés. Les salariés pointent le fait que l'encadrement direct est devenu de plus en plus une hiérarchie d'animation et de gestion au détriment de sa capacité technique, et que leur mobilité (de cette mobilité systématique qui caractérise les carrières des cadres), moins aptes à connaître la réalité du travail des opérateurs ou employés subalternes. Il est fréquent que les salariés aient ainsi le sentiment de ne pas pouvoir faire faire reconnaître les efforts qu'ils déploient pour accomplir leur travail. Ils disent souvent ne pas espérer d'aide de la part de leur hiérarchie. Nous avons vu des opérateurs se réjouir de voir, pendant la grève qu'ils avaient entamée, les cadres débarquer pour tenir leurs postes. Au lieu de crier aux briseurs de grèves, ils étaient ravis de l'occasion inespérée de voir leurs cadres prendre conscience de la réalité du travail qu'ils organisaient pour leurs subordonnés. Réaménager leur poste de travail, négocier les objectifs et les moyens, obtenir des délais supplémentaires : ceci paraît difficile, voire impossible à nombre de salariés. Se dégagent ainsi des enquêtes comme un sentiment de solitude et d'abandon, de non-reconnaissance et de non-assistance pour les aider à travailler correctement. Le travail devient de plus en plus une source de mal-être et de stress.
Les salariés ont le sentiment de ne pas voir leur travail rétribué en fonction de leur implication, mais aussi de ne pas pouvoir se faire entendre lorsqu'ils cherchent à mettre en cohérence les objectifs fixés avec les conditions de leur activité. Ce sentiment est relativement homogène, on le retrouve chez les opérateurs, les employés mais aussi chez nombre d'ingénieurs, de techniciens et de cadres.


Certains salariés éprouvent, pour les mêmes raisons, une réelle angoisse avant l'entretien annuel avec le N+1, moment obligé de l'évaluation de leur travail. Ce n'est pas qu'ils dénient à leurs managers leur savoir, ni la qualité de leurs diplômes, mais ils pensent qu'ils ne sont pas à même d'évaluer correctement leur travail, parce qu'ils ne restent pas suffisamment longtemps en poste pour connaître la spécificité des tâches de leurs subalternes, parce qu'ils fixent parfois des objectifs irréalisables ou parce qu'ils ont des quotas de "notes" à respecter (et ce, d'autant plus qu'il y a des primes ou des augmentations de salaires à la clé). Ainsi, des cadres d'une grande entreprise informatique se plaignaient qu'on leur demande de compléter leur formation et leur expérience en partageant leur temps de travail entre plusieurs services, alors qu'ils ne parvenaient pas à obtenir l'accord des responsables des autres services pour y travailler. On ne tenait pas compte de leurs arguments et leur notation s'en ressentait fortement.
Les salariés sont ainsi souvent jaugés, jugés, comparés, plus que réellement évalués au vu de leurs efforts et de la réalité du travail accompli, compte tenu des difficultés, contradictions et incohérences qu'ils ont à surmonter en permanence. Les évaluations fréquentes courent d'autant plus le risque de l'arbitraire qu'il s'agit désormais d'apprécier des compétences individuelles, lesquelles prennent en compte non seulement des connaissances mais aussi des aptitudes et la bonne volonté des salariés, c'est-à-dire aussi bien le savoir que le savoir-faire et le savoir-être. C'est dans les années quatre-vingt que la notion de "compétence" apparaît dans les textes officiels de l'Education nationale, et en 1990 dans le monde des Entreprises, où elle se substitue à celle de "qualification".


Dès lors que l'on se situe dans le registre du savoir-être, on est confronté à des notions floues car la compétence "se singularise par la prépondérance qu'elle accorde aux attributs des individus (à l'inverse de la qualification). Elle vise à appréhender des compétences comportementales, ou bien des savoirs comportementaux. De plus, cette focalisation sur le comportement individuel occulte toute la dimension collective du travail. Avec les évaluations individuelles basées sur la compétence, la personnalité du salarié devient la cible. Ne parle-t-on pas d'ailleurs, dans la littérature managériale, de management des affects, ou de gestion des émotions ? Certaines grandes entreprises ont été jusqu'à mettre au point, avec l'aide de chercheurs du CNRS, des logiciels destinés à cerner la personnalité de leurs salariés pour éclairer les décisions de promotion et d'affectation. D'autres ont développé des pratiques qui consistent à faire évaluer les salariés par leurs collègues sur la base de questionnaires destinés à mettre à jour la personnalité et les comportements au travail. Les agents de l'ANPE ont intégré ces aspects et des stages de préparation aux entretiens de recrutement insistent sur la présentation de soi (gestuelle, expressions du visage, posture physique, voix ou choix des vêtements).
Ce n'est pas l'activité que déploient les salariés pour réaliser un travail de qualité, malgré les inconsistances et insuffisances de l'organisation du travail, qui est jugé. Ce que le management "apprécie" de façon subjective, ce sont surtout des caractéristiques personnelles.
La difficulté de faire reconnaître le travail réel peut être source d'une réelle souffrance. Elle engendre parfois un sentiment de précarisation car les pratiques d'évaluations permanentes sont déterminantes non seulement pour la carrière mais tout simplement pour le maintien dans l'entreprise.