jeudi 2 juillet 2009

Acierix

"Il n'y a quasiment plus de syndiqués"

La France se singularise par la faiblesse de son taux de syndicalisation. Il y aurait aujourd'hui un peu moins de deux millions de syndiqués, soit moins de 8 % des salariés (le taux de syndicalisation moyen dans l'Union européenne à 25 est estimé à 25 % par la Commission européenne). Et plus d'un salarié syndiqué sur deux travaille dans le secteur public.
S'il est exact que le nombre de syndiqués a considérablement chuté depuis trente ou quarante ans, il faut savoir que mises à part quelques périodes particulières (le Front populaire, la Libération, l'après-mai 68), le syndicalisme français n'a jamais été un syndicalisme de masse. Il y a rarement eu plus de 20 % de salariés syndiqués. Le fait qu'il n'y ait jamais eu beaucoup de syndiqués renvoie à l'Histoire de France et à certaines caractéristiques essentielles du droit syndical.



Une des causes de la désyndicalisation tiendrait à l'"approche trop idéologique" des syndicats (selon 67 % des salariés interrogés par le sondage TNS-SOFRES de mai 2008). On dénonce souvent la "politisation" des syndicats français : leur idéologie "lutte de classes" les rendrait peu aptes aux compromis, tant avec l'Etat-patron qu'avec les employeurs privés. La politisation des syndicats est liée à l'histoire du mouvement ouvrier en France. Avec la loi Le Chapelier (1791), la Révolution française a supprimé les corporations, parce qu'elles encadraient strictement le marché du travail sous l'Ancien Régime et qu'elles entravaient la liberté des individus. Cette loi a eu comme effet l'interdiction des associations professionnelles et donc des syndicats jusqu'en 1864. Les organisations ouvrières avaient tendance à se radicaliser dans la clandestinité. Tout au long du XIXe siècle, les débuts de l'industrialisation, les ouvriers ont souvent joué un rôle central dans les crises politiques qui ont secoué la France (1830, 1848, 1871), et ont été les principales victimes de la répression. "La semaine sanglante" qui a suivi la défaite des communards a particulièrement marqué les esprits. Lorsque la CGT, créée en 1895, a adopté la charte d'Amiens (1906), elle s'affirmait résolument anti-capitaliste. "Lanarcho-syndicalisme" (un syndicalisme révolutionnaire se référant à la lutte de classes) l'a nettement emporté sur l'option du "syndicalisme de services" adopté dans certains pays.


Lorsqu'on parle de la crise du syndicalisme, on évoque souvent une crise de la "représentation". Puisqu'ils ont peu d'adhérents, les syndicats ne représenteraient qu'eux-mêmes... Le syndicalisme français a, là aussi, une spécificité : il est construit sur une conception "essentialiste" de la représentation : une organisation syndicale représente (par essence) la "communauté" des salariés, y compris ceux qui ne sont pas syndiqués. Mais les salariés n'appartiennent plus à une communauté homogène, leurs intérêts de sont beaucoup diversifiés. Porteurs d'attentes beaucoup plus individualistes, ils perçoivent de moins en moins l'utilité d'adhérer à un syndicat. Ceci d'autant plus que les entreprises s'efforcent de renforcer le rôle de l'encadrement et de diminuer celui des représentants syndicaux comme porte-parole des salariés.
Les transformations du système productif et un marché du travail en crise sont souvent mis en avant pour expliquer la diminution du nombre de syndiqués. On observe une forte baisse des adhésions chez les ouvriers (environ 6 %), expliquée en partie par la fragilisation de leur statut, avec le déclin des emplois dans l'industrie traditionnelle (comme la sidérurgie par exemple, qui était un "bastion" du syndicalisme), ou la multiplication des formes particulières d'emploi (intérim, sous-traitance, etc.), qui entraîne une désintégration de la communauté de travail (les salariés d'un même site appartiennent à des entreprises différentes). Les employés sont peut syndiqués (5,5 %), mais c'est une constante : le syndicalisme a toujours eu du mal à s'implanter dans le secteur tertiaire (excepté le secteur public). En revanche, on note une nette croissance du nombre de syndiqués chez les cadres et professions intermédiaires du privé (respectivement 14,4 % et 10,5 %) ; ceci correspond à une augmentation de ces catégories dans la population active, mais aussi sans doute à une relative dégradation de leurs conditions de travail (source : INSEE, Données sociales, édition 2006). En 2005, en moyenne, tous secteurs confondus, sur dix salariés syndiqués, trois sont cadres, trois exercent une profession intermédiaire, deux sont employés, deux sont ouvriers (source : DARES, avril 2008). La référence habituelle des syndicats à "la classe ouvrière" est certainement appelée à disparaître... L'action syndicale a également beaucoup évolué avec le changement de profil des adhérents. Les syndicalistes distribuaient des tracts le matin, au moment des prises de postes ; aujourd'hui, les informations sont communiquées essentiellement par messagerie électronique.
Il faut aussi rappeler qu'en France, l'adhésion à un syndicat ne donne ni droits ni avantages, contrairement à ce qui se passe dans de nombreux autres pays, où elle offre l'accès à certains services (coopératives d'achat, mutuelles, assurances, banques, etc.), voire même à des indemnités de chômage. L'adhésion est un acte militant.


Un des paradoxes du syndicalisme français, c'est qu'il a un faible nombre d'adhérents, mais que les syndicats ont néanmoins du poids. Durant les grandes grèves de l'automne 1995, tous les journalistes étrangers s'étonnaient du nombre de grévistes dans un pays sans syndiqués ! D'une part, le poids institutionnel des confédérations syndicales est important, en raison de leur présence dans de nombreux organismes officiels et dans toutes les négociations (au niveau national, au niveau des branches professionnelles et dans les entreprises). D'autre part, le pouvoir de mobilisation des syndicats peut être important car ils sont largement représentés dans les entreprises et les administrations. L'implantation syndicale se serait même renforcée depuis 1996. En 2005, plus de 40 % des salariés déclaraient qu'un syndicat était présent sur le lieu de travail (source : Premières synthèses avril 2008, DARES, ministère du Travail). L'implantation syndicale est tout à fait comparable dans le secteur public et dans les grands établissements du secteur privé. C'est dans les petits établissements que les syndicats sont rarement présents.
Contrairement à une idée reçue, les syndicats n'ont pas perdu toute leur crédibilité. Un sondage (TNS-SOFRES, mai 2008) nous indique que 58 % des salariés leur font "tout à fait" ou "plutôt" confiance et que 70 % les jugent efficaces. Parmi les raisons avancées pour expliquer la faiblesse des adhésions, on remarque que figure en premier lieu la "peur des représailles" (41 %). L'hostilité du patronat à l'égard du syndicalisme a toujours existé, des syndiqués ont souvent été pénalisés dans leur carrière. Dans un contexte où l'emploi est fragile, il est assez normal que les salariés soient craintifs.
Les salariés auraient en fait de plus en plus une conduite "utilitariste" : ils savent qu'ils peuvent profiter des bénéfices de l'action collective sans y contribuer, en payant une cotisation au syndicat ou en faisant grève. Quant aux syndicalistes, ils ont de plus en plus tendance à se comporter avec les salariés comme les députés avec les électeurs de leur circonscription : ce qu'ils espèrent en contrepartie de leur activité, ce ne sont pas des adhésions mais des votes pur leur organisation aux élections professionnelles.

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