lundi 6 juillet 2009

Acierix

DES SYNDICATS TROP DIVISES ET PEU REPRESENTATIFS

La France est le pays européen qui compte le moins de syndiqués... et le plus grand nombre de syndicats. Il y a aujourd'hui au moins neuf organisations syndicales : la CGT, FO, la CFDT, la CFTC, la CGC, le G10-Solidaires, la FSU, l'UNSA, la CNT, etc. Selon un récent sondage, 36 % des Français déplorent la division excessive des syndicats. Pour une très grande majorité d'entre eux (79 %), l'idéal serait d'avoir un, deux ou trois syndicats nationaux, comme ailleurs en Europe.
La tradition révolutionnaire du syndicalisme français explique les divisions syndicales. Le syndicat n'entend pas seulement représenter des intérêts, il a un projet de transformation de la société. Les clivages idéologiques ont nécessairement entraîné les divisions syndicales. La CGT, créée en 1895, était la première et l'unique centrale syndicale jusqu'en 1919, date de création de la CFTC. Cette dernière s'est constituée pour s'opposer à la lutte des classes prônée par la CGT : elle se référait au catholicisme social. FO fut fondée en 1948 en opposition à la CGT, trop proche des communistes. En 1964, la CFTC s'est transformée en CFDT pour affirmer son indépendance à l'égard de l'Église catholique (elle s'est déconfessionnalisée, mais une minorité de ses membres est restée dans la CFTC maintenue. Lorsque la CFDT a effectué son "recentrage" - l'abandon de la perspective autogestionnaire- une scission refusant l'adaptation du syndicalisme à l'économie de marché a donné naissance, en 1989, aux syndicats SUD (Solidaires, Unitaires, Démocratiques), devenus par la suite G10-Solidaires.



Pour comprendre les références et l'organisation du syndicalisme français, il faut aussi prendre en compte le rejet du "corporatisme" : pour justifier leur action, les syndicats doivent toujours invoquer la solidarité et l'intérêt général. A part quelques exceptions comme les dockers ou les journalistes, les salariés ne sont pas organisés en syndicalisme de métier. Toute organisation défendant uniquement les intérêts d'un métier, d'une catégorie, est suspectée de "corporatisme". Si le corporatisme a si mauvaise presse en France, c'est qu'il renvoie à l'Ancien Régime et à la période pétainiste. La Révolution française a voulu abolir les privilèges en supprimant les corporations (loi Le Chapelier, 1791). Le gouvernement de Vichy a tenté de les réhabiliter à travers la Charte du travail (1941), qui créait pour chaque profession "un organisme corporatif à compétence sociale et professionnelle" tandis que tous les syndicats d'employeurs et de salariés étaient dissous. Dès la Libération, la Charte du travail a été abolie et les syndicats ont été rétablis (à condition de ne pas avoir collaboré). Mais "le syndrome de Vichy" a marqué durablement les esprits : "Les comités d'entreprise et les délégués du personnel ont été des instruments de défense des salariés, jamais des instruments de coopération ni d'implication dans les affaires de la firme".



Depuis la fin des années quatre-vingt, on parle parfois d'un "regain du corporatisme". Plusieurs mouvements revendicatifs ont eu pour origine le malaise propre à une catégorie spécifique : les infirmières (1988), les transporteurs routiers (2000), les intermittents du spectacle (depuis 2009), etc. De nouvelles organisations syndicales comme les SUD ont connu un grand succès en se centrant sur des revendications catégorielles (SUD-Rail, SUD-PTT, SUD-collectivités territoriales), mais elles les articulent systématiquement à des solidarités plus larges, et donc à l'intérêt général.
Peu après la Libération, une loi a recensé les critères à retenir pour qu'un syndicat soit considéré comme "représentatif" : l'indépendance, notamment financière, l'expérience et l'ancienneté... et l'attitude patriotique pendant l'Occupation. Un décret de 1966 a établi et figé la liste des cinq organisations représentatives : la CGT, la CFDT, FO, la CFTC et la CGC pour les cadres. Selon le Code du travail, tout syndicat affilié à l'une de ces cinq confédérations était représentatif de droit, ce qui lui permettait de bénéficier de nombreux droits : il pouvait désigner des délégués syndicaux, présenter des candidats au premier tour des élections professionnelles, négocier des accords collectifs, participer à la gestion des organismes paritaires, recevoir diverses subventions, etc. Mais le paysage syndical a bien changé depuis cette époque : de nouvelles organisations se sont constituées et ont pris beaucoup d'ampleur (notamment les G10-Solidaires, la FSU, l'UNSA). Pour pouvoir présenter localement des candidats à une élection professionnelle, les organisations qui ne bénéficiaient pas du label de représentativité devaient à chaque fois la prouver en allant devant les tribunaux.



La question de la représentativité des syndicats est devenue brûlante depuis quelques années, parce qu'il y a de plus en plus de négociations d'accords au niveau des entreprises, des branches professionnelles ou de l''Etat. On a parfois assisté à des situations assez rocambolesques : un syndicat réputé représentatif, mais très minoritaire, validait, par sa seule signature, un accord dont les syndicats majoritaires ne voulaient absolument pas.
La loi du 31 janvier 2007 sur "la modernisation du dialogue social", qui renforce le rôle de la négociation collective, soulevait la question de la légitimité des signataires. Les syndicats patronaux et les syndicats de salariés ont engagé des discussions sur les critères de la représentativité, le financement des organisations syndicales, la validation des accords signés, etc. Une "position commune" a été signée en avril 2008 par les deux plus importantes organisations de salariés, la CGT, la CFDT, par le Medef et la CGPME pour les organisations patronales, elle a été rejetée par les organisations syndicales minoritaires. Ce texte proposait notamment qu'une section syndicale ait recueilli au moins 10 % des suffrages du personnel pour participer à des négociations avec l'employeur et qu'un accord ne puisse pas se faire sans l'aval d'au moins 30 % du personnel représenté par un ou plusieurs syndicats. Ce texte a été repris comme base dans la loi sur la "démocratie sociale" votée en juillet 2008. La représentativité des organisations syndicales s'évaluera dorénavant en fonction de l'audience électorale : le seuil de représentativité est fixé à 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles dans les entreprises, et à 8 % dans les branches et au niveau interprofessionnel. En choisissant comme critère les élections professionnelles en entreprise (et non les élections prud'homales, où le taux d'abstention est plus important), l'implantation syndicale est privilégiée.
L'introduction d'un seuil de représentativité vise explicitement à réduire le nombre des organisations syndicales. On a souvent opposé, ces dernières années, deux formes principales de syndicalisme. D'un côté, un "syndicalisme d'opposition", plutôt contestataire, incarné par la CGT, la FSU, et les G10-Solidaires, auquel on peut ajouter la CNT, qui se revendique de la tradition révolutionnaire anarcho-syndicaliste. De l'autre, un "syndicalisme réformiste", prônant le développement du dialogue social, avec en tête la CFDT, mais dans lequel on peut inclure aussi FO, l'UNSA, la CGC et la CFTC. Un des effets de la réforme de la représentativité devrait être une recomposition du paysage syndical, avec un certain nombre de regroupements. Il est encore trop tôt pour présumer de la façon dont se feront ces regroupements, mais il s'appuieront sans doute sur des proximités "idéologiques".

Effectifs des syndicats et audiences électorales

Effectifs Elections prud'homales
estimés de décembre 2008
(% des suffrages exprimés)

CGT 550 000 33,97 %
CFDT (493 000 21,18 %
(600 000
FO 300 000 15,81 %
CFTC 109 000 8,70 %
UNSA 130 000 6,25 %
CFE-CGC (80 000 8,20 %
(100 000
Union syndicale
Solidaires-Sud (80 000 3,82 %
(90 000
FSU 120 000 1,42 %
Total 1,9 à 2 millions 100 %



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