mardi 7 juillet 2009

Acierix

LES PARADOXES DU MODELE FRANÇAIS

Les Français entretiennent un rapport particulier au travail : 70 % considèrent que le travail est "très important" contre 50 % des Allemands ou 40 % des Britanniques. Cela peut s'expliquer en partie par le taux de chômage, l'angoisse liée à l'insécurité de l'emploi. Mais pas seulement, comme le montre un sondage. A la question : si vous pouviez disposer de votre revenu sans avoir à travailler, arrêteriez-vous de travailler ? 55 % des sondés ont répondu par la négative. Plus de la moitié des salariés français considèrent que "le travail est nécessaire pour développer pleinement ses capacités", ce qui est le score le plus important en Europe occidentale. Le paradoxe est que plus que les autres pays européens, les Français considèrent que le travail devrait prendre une place moins grande dans leur vie.





La singularité française porte sur les attentes à l'égard du travail. Il n'est pas seulement une façon d'avoir un revenu, il est très investi affectivement : c'est un moyen d'expression et de réalisation de soi, une fierté d'être utile dans la société. Le salarié français est celui qui met le plus en avant le "plaisir" lorsqu'il évoque le sens du travail, à la différence des Allemands qui parlent plus volontiers de "sécurité" ou des Anglais qui citent en majorité la "routine". C'est peut-être pour cette raison que les Français sont plus sensibles que d'autres au sentiment de "déclassement" lié à certains emplois. C'est ainsi que les métiers de services aux personnes ne sont pas toujours considérés comme de "vrais" emplois, mais comme des "petits boulots". Dans la société française, l'opposition entre d'un côté ce qui est grand, noble, ce qui élève, honore, et de l'autre ce qui est bas, vil, ce qui abaisse, dégrade, constitue un repère fondamental. L'identité de chacun est concernée.


Si les Français souhaitent consacrer moins de temps au travail, ce n'est pas tellement à cause du travail lui-même (75 % déclarent que leur emploi est intéressant, ce qui est conforme à la moyenne européenne), mais parce qu'ils souffrent de conditions de travail dégradées et de mauvaises relations avec la hiérarchie. La France se distingué par une proportion de salariés estimant être soumis à un travail stressant plus importante (près de 50 %) que dans tous les autres pays européens (source : ISSP, 2005). De plus, ils ressentent souvent de la désillusion en jugeant que leur implication n'est pas reconnue, leur sentiment de frustration étant évidemment d'autant plus fort que leur relation au travail est très affective. En outre, ils sont nombreux à trouver que les termes de l'échange ne sont pas équitables : l'insatisfaction sur les salaires et sur les chances de promotion est plus élevée en France que dans la plupart des autres pays européens. Les Français se montrent parmi les plus sensibles aux inégalités salariales, aux parachutes dorés touchés par les grands patrons et au fait que les bénéfices des entreprises vont dans les poches des actionnaires plutôt que dans une augmentation des salaires.
"Le désir de voir le travail prendre moins de place n'est en aucun cas le signe d'un désir de loisirs ou d'une inappétence pour le travail, mais la marque d'un dysfonctionnement de la sphère du travail assez spécifique à la France (dégradation des conditions de travail et sentiment d'insécurité de l'emploi) ainsi que l'expression d'un désir positif de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale.


Une des spécificités françaises tient également à l'inquiétude sur l'avenir. A la question de savoir s'ils sont "confiants dans leur capacité de garder leur emploi dans les mois à venir", les Français sont les premiers (ex æquo avec les Hongrois) à se dire "pas confiants du tout". Et dans la perspective d'un licenciement, ils sont parmi les plus pessimistes sur "les chances de retrouver un travail demandant les mêmes compétences et la même expérience dans les six prochains mois.
Pendant près de trente ans, la société française a fonctionné sur un pacte social que l'on a appelé le "compromis fordiste". Les salariés étaient loin d'avoir toujours une vie facile, mais ils faisaient le pari d'un avenir meilleur, pour eux, et surtout pour leurs enfants. La démocratisation de la société se manifestait en effet par l'extension à l'ensemble de la population des avantages acquis par les catégories les mieux protégées. Le sentiment général est qu'aujourd'hui, c'est l'inverse : on demande aux salariés considérés comme des privilégiés de renoncer à leurs acquis au nom de l'équité. L'alignement ne se fait plus par le haut, mais par le bas... à tel point qu'un Français sur deux redoute de se retrouver un jour SDF.

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