lundi 6 juillet 2009

Acierix


IL Y A TROP DE GREVES EN FRANCE


Selon une idée reçue largement véhiculée par les médias et de nombreux hommes politiques, la France détiendrait des records en nombre de jours de grèves. Selon d'autres sources, il y aurait aujourd'hui moins de jours de travail perdus à cause des grèves dans les entreprises françaises que dans les firmes américaines... Des études sérieuses montrent qu'effectivement, parmi les pays industrialisés, la France serait plutôt en queue de peloton en ce qui concerne les jours de grève, loin derrière le Royaume-Uni, l'Espagne ou l'Italie (Guy Groux, Jean-Marie Pernot, La Grève, Presses de Sciences Po, 2008).
Le droit de grève est inscrit dans le Code du travail et garanti dans la Constitution de 1946 : la grève est la forme institutionnalisée et réglementaire du conflit collectif du travail. C'est un droit qui a été obtenu de haute lutte en 1864. Dans le capitalisme sauvage du XIXe siècle, les ouvriers ont parfois utilisé la cessation d'activité comme forme de contestation, mais c'était un délit sévèrement réprimé (la répression des grèves des canuts lyonnais en 1831 et 1834 a beaucoup marqué le mouvement ouvrier). Durant tout le XXe siècle, les grèves ont joué un rôle important dans l'amélioration des droits des travailleurs et de leurs conditions de travail : augmentation des salaires, réduction de la durée du travail, congés payés, représentation des salariés, etc.



La réglementation sur la grève est beaucoup moins contraignante que dans d'autres pays, par exemple l'Allemagne. En Allemagne, la grève est un droit collectif, réservé aux syndicats, et très encadré : elle ne peut entrer en vigueur que si au moins 75 % des salariés syndiqués votent (à bulletin secret) en faveur de la grève ; elle se termine si 25 % des salariés concernés votent la reprise du travail. En France, c'est un droit individuel (la décision de participer à la grève est individuelle). Pour qu'une grève soit licite, elle doit cependant remplir certaines conditions : le mouvement de grève doit être collectif (à partir de deux personnes dans le cadre d'un conflit propre à l'entreprise ; à partir d'une personne pour un mouvement plus large). Il faut rappeler aussi que la grève est définie comme "la cessation totale du travail afin d'appuyer des revendications professionnelles" (ministère du Travail). Le comptage des grèves prend donc en compte uniquement "le nombre de journées individuelles non travaillées" (JINT), à savoir les arrêts de travail d'au moins vingt-quatre heures. Il ne retient pas les conflits collectifs sans arrêt de travail, ou les débrayages momentanés.




Le déclin de la grève ne signifie pas que la conflictualité a disparu... ce sont les formes des conflits sociaux qui se sont modifiées. Une étude du ministère du Travail (Premières synthèses, DARES, février 2007) montre que la conflictualité au travail a été très importante au cours de la dernière décennie, elle se serait même intensifiée. Entre 2002 et 2004, un tiers des établissements de plus de 20 salariés a connu au moins un conflit collectif, portant le plus souvent sur des revendications salariales ou sur le temps de travail. La grande distribution, par exemple, qui a abusé des emplois précaires et du temps partiel, a connu ces derniers temps des conflits alors qu'il n'y en avait pratiquement jamais eu antérieurement. Mais l'action collective est plus fréquemment locale (limitée à un établissement) et elle a pris d'autres formes que la grève classique, la grève du zèle (l'application stricte du règlement, qui provoque systématiquement des troubles importants), la grève perlée (arrêts momentanés), la manifestation, mais surtout les pétitions et le refus d'heures supplémentaires, ce qui la rend beaucoup moins perceptible.



La spécificité française réside principalement dans l'importance des grèves dans le secteur public. Il est vrai que celui-ci est le dernier bastion où il est possible de faire grève sans crainte de perdre son emploi. Lorsque les salariés de la fonction publique se mettent en grève, c'est souvent pour protester contre une réforme qui vise à supprimer certaines garanties dont ils bénéficient (par exemple les régimes spéciaux de retraite). Ils sont alors accusés de "corporatisme" ; ce sont des "nantis", "arc-boutés sur des acquis sociaux" datant de l'après-guerre. C'est une idée reçue qui n'est pas forcément partagée par tous les Français puisque des sondages ont montré que des mouvements sociaux qualifiés (à tort ou à raison) de "corporatistes" (les cheminots, les enseignants, etc.) bénéficiaient plutôt d'un capital de sympathie dans l'opinion publique.
Nicolas Sarkozy, durant sa campagne présidentielle, avait promis de mettre un terme à l'insupportable "prise en otage des usagers" engendrée par les grèves dans les services publics, tout particulièrement les transports en commun...





En août 2007 a été votée une loi "sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs". Sans mettre en place une véritable obligation de service minimum, cette loi instaure la nécessité, pour les salariés des entreprises de transports publics, d'indiquer 48 heures à l'avance qu'ils ont l'intention de faire grève, pour permettre de réorganiser le service en substituant des non-grévistes aux grévistes. Chaque entreprise doit élaborer un plan de transports avec les dessertes prioritaires, les plages horaires assurées, ainsi qu'une information sur "les perturbations prévisibles du trafic" destinée aux usagers. La loi pose aussi le principe de l'obligation de négocier en amont : le dépôt d'un préavis de grève ne pourra intervenir qu'après une négociation préalable entre l'employeur et la ou les organisations syndicales représentatives. Dans le même esprit, en août 2008, a été votée une loi créant "un droit d'accueil à l'école primaire pendant le temps scolaire" : elle impose aux enseignants grévistes de se signaler à leur hiérarchie 48 heures avant le début du mouvement et elle exige des communes qu'elles organisent l'accueil des élèves des écoles primaires (publiques ou privées sous contrat) en toutes circonstances (grève ou "absence imprévisible" d'un enseignant).


De nombreux syndicalistes ont vu dans ces nouvelles lois le prélude à une remise en question du droit de grève. L'avenir nous montrera si elles modifient réellement les processus de négociation. Il est vrai qu'en France, la tradition voulait que la régulation sociale passe beaucoup plus par l'affrontement que par le dialogue entre partenaires sociaux. Dans de nombreux pays, la grève est considérée comme le dernier moyen d'action, lorsque toutes les voies de la négociation ont échoué. En France, la grève (ou du moins le dépôt d'un préavis de grève) est souvent un préalable pour que la direction d'une entreprise (dans le secteur privé) ou un ministre (pour la fonction publique) accepte un rendez-vous avec les syndicats et qu'une négociation commence à s'engager. "Lors de certaines grèves", la tâche la plus difficile, pour les grévistes et pour les négociateurs, semble être de rencontrer quelqu'un qui, en face d'eux, soit habilité à prendre une décision et à s'y tenir. Bien plus, certaines grèves semblent naître de cette difficulté même.
Le nombre de journées individuelles non travaillées pour fait de grève était en France de 4 millions en 1976, il n'était que de 1,2 million en 2005 (derniers chiffres connus). Cela ne signifie pas que la conflictualité soit en baisse, loin de là. Le changement est que les formes de mobilisation collective sont autres, surtout dans le secteur privé.

Aucun commentaire: