mardi 13 juillet 2010

Les parois de la galerie sont sombres, de plus en plus sombres, avec au loin jusque quelques points lumineux. Où est l'horizon ? Fait-il froid ? Autour, le silence sans doute. Peut-être est-il pesant ?
La seule source de lumière, de chaleur et de bruit, cette flamme, dont il faut pourtant se protéger si l'on ne veut pas qu'elle vous brûle les yeux, le visage ou les mains.
Les mineurs disaient que les parois craquaient la nuit, vers minuit.
Le soudeur est seul, un genou sur la voie ferrée où dans quelques heures circuleront, en sécurité améliorée, des rames bondées d'autres travailleurs rejoignant leur lieu de travail, ou en revenant peut-être.

Francis SIX
Professeur en ergonomie, Université Charles-de-Gaulle Lille 3


Entre ombre et lumière, ce voyageur solitaire nous rencontre, fugacement, nous, voyageurs anonymes, d'affaires ou de loisirs. Garant de notre sécurité, gardien du temps, enquêteur de billets, colporteur de nouvelles, comment a-t-il choisi sa voie ? Une vie d'allers et retours, à sillonner les routes de fer. Le souhaitait-il ? S'imaginait-il avancer, autoritaire ou débonnaire, de siège en siège, de voiture en voiture ? Pensait-il vivre au rythme décalé de la locomotive ?
Deux minutes d'arrêt ! Il est tard. Quand devra-t-il se remettre sur les rails ?
Monsieur, éloignez-vous de la bordure du quai s'il vous plaît.

Anne PIGNAULT
Maître de conférences, psychologie du travail
Université Paris Ouest - Nanterre La Défense
&
Léonard QUERELLE
Ergonome consultant
Gérant du cabinet Ergonomie & Conception


Merveilleuse vie nocturne, la magie urbaine ne cesse d'éclairer nos moments festifs. Mais en arrière plan des paillettes, des travailleurs sans heures sont là pour nous faire oublier les possibles faiblesses de la technologie. Continuité des services, continuité des dispositifs, continuité de notre confort au prix de la désynchronisation biologique et sociale des travailleurs de l'ombre. L'échafaud moderne des travailleurs nocturnes contribue à la prolongation de la vie des travailleurs diurnes. Maintenir les yeux ouverts pour un sommeil sans soucis des travailleurs de jour.

Pierre PAVAGEAU
Docteur en ergonomie, Conservatoire National des Arts et Métiers


Vie à contre courant, vie à contre jour, Joe le taxi est le passeur entre le jour et la nuit, entre le travail et le loisir des autres. Travail la nuit, sommeil le jour, sa vie se dessine en creux, le loisir de ses clients se reflète sur ses vitres, il est l'extérieur nuit. Il a sans doute choisi de travailler la nuit parce que cela rapporte plus et parce que le trafic est plus fluide, moins de stress, moins le sentiment du temps perdu. Il est jeune, il fera cela quelques années, pense-t-il, jusqu'à ce qu'il ait une vie familiale qui ne sera pas compatible avec ce travail. Au petit matin, il rentrera chez lui, dans une banlieue lointaine, déposant au passage un dernier client.

Jean-Yves BOULIN
Sociologue CNRS
IRISES / Université Paris-Dauphine


Depuis le XIXe siècle, l'invention de l'électricité et la révolution industrielle ont très rapidement et profondément modifié les conditions de travail au travers du développement du travail de nuit. Pour ces "travailleurs de l'ombre" cette transformation génère un décalage entre le cycle jour-nuit et leurs rythmes endogènes, avec des conséquences sur la fatigue et le bien-être. Plongé dans l'ambiance lumineuse artificielle d'une aciérie, ce travailleur semble rechercher vers le haut cette source vitale d'énergie, moteur principal de son horloge interne.

Philippe CABON
Maître de conférences
en psychologie-ergonomie
Université Paris Descartes - Paris 5

On pense qu'ils s'ennuient, les gardiens, qu'ils ne font rien. Ici on voit très bien ce que signifie garder : avoir l'œil. Les grands singes semblent partager le souci du gardien pour un détail qu'on imagine inhabituel. Au travail, pour que ça marche, il faut donner une vie à l'inanimé, faire corps avec l'environnement. On ne s'étonnerait donc pas qu'il leur parle. Mais cette interaction familière est piégée dans le grand récit colonial qui organise les vitrines. Qu'est-ce qui se garde ici ? La mémoire de l'enfance, quand les squelettes sont des copains, ou la mémoire de nos atrocités ? C'est comment, vivre sous le regard du singe ?

Pascale MOLINIER
Psychologue, maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers

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