lundi 12 juillet 2010

Rien n'empêche de penser que le travail fait à ce moment là est tout autre chose que d'écouter à droite ou d'écouter à gauche. Entre ces deux combinés téléphoniques, peut-être cet homme espère-t-il seulement qu'on lui parle. En attendant, il interroge du regard ce qui se passe ailleurs. Peut-être n'est-il pas entre les combinés. Peut-être aussi le photographe parle-t-il grâce à cet homme de ce qui le préoccupe, lui, dans son propre travail : la solitude dans l'univers de la communication généralisée. On ne le saura pas. La photographie ne montre pas la réalité. Elle montre ce qu'on ne voit pas : par exemple, ce que ces opérateurs de l'Hôtel Drouot sont devenus depuis que les téléphones sont sans fil. Et donc ce qu'ils pourraient devenir.

Yves CLOT
Chaire de psychologie du travail du
Conservatoire National des Arts et Métiers
Directeur du CRTD



Contrats ? Commandes ? Conseils ? Consultation ? L'information circule vite et loin, les mots vont et viennent, décisifs. Mais communication n'entraîne pas sympathie. La transaction finie, on est encore seul. Chacun pour soi.

Thomas COUTROT
Economiste, DARES


Quelques nouvelles.
Un bureau, neuf et impersonnel, au 20e étage d'une tour, près du 4e périphérique. Beaucoup de transport.
Toujours pas de collègue dans le service.
Avec la crise économique, on n'embauchera pas tous les effectifs prévus.
Ce n'est pas drôle, mais il ne faut pas se plaindre...
En face, un bâtiment en construction. Dans le froid et la grisaille, perchés sur des échafaudages, des ouvriers isolent la façade.
Ils repartent, dès le travail fini, mais sans travail, dans la province du Qinghai.
Grisaille, comme cet immeuble, qui ressemblera à tous ceux alentour.

François GUÉRIN
Ergonome, ITG Consultants


Cet ajusteur, montré au travers d'une bouche e tuyau, le photographe le voit-il menacé de ligotage ? Ou veut-il attirer l'attention sur le visage, le regard attentif à la réussite du geste ? Acceptons les deux visions. On imagine que cet ouvrier, comme bien d'autres, tirerait un bilan mitigé des évolutions du travail. Il est debout, le corps droit, mais il a des efforts à fournir, une épaule en déséquilibre. Il a peut-être des équipements modernes, mais il est sur la chaîne. Il soigne la qualité, mais il fait vite. Sa tâche se répète, mais il est soucieux des diversités. "OK", mentionne un panneau à l'arrière. OK, mais non sans mal...

Serge VOLKOFF
Statisticien et ergonome, Centre d'études de l'emploi


Pendant que sa collègue laisse subir à son regard une scène sans attrait, sa main s'arrache du clavier et s'envole très haut, libérant un geste ambigu tout à la fois irrévérencieux et ecclésiastique. Qui hèle-t-elle ?
Solidairement rivées aux caisses-enregistreuses, elles portent sur elles l'image de leur personnalité. Mais uniforme, coiffe, petit foulard et badge obligatoires n'y font rien, leur personnalité et leur présence détonnent, humanisant ce lieu de la consommation standardisée.
Le travail pris en otage ?

Michel BERTHET
Ergonome, responsable de département, INRS


Elle regarde l'objectif, c'est son métier. Les autres regardent leurs mains qui taillent, tirent, tordent les cheveux, c'est leur métier. Les mains comme des papillons, en haut, en bas, à droite et à gauche, les têtes se penchent et se déhanchent. Suivre le vol des papillons sans collision, savoir avant où ils s'en vont. Il faut qu'elle soit belle, mais vite.
Le temps file en coulisse.

Corinne GAUDART
Chercheur en ergonomie au CNRS






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