jeudi 8 octobre 2009

Suicide : une "mode" chez France Télécom

Selon son élégant PDG, il y aurait une "mode du suicide" à France Télécom. Vingt-trois en dix-huit mois, il est vrai que la tendance est lourde ! Certes, Didier Lombard n'a probablement pas mesuré l'impact de ses propos, mais les mots, en particulier ceux qui échappent, sont toujours révélateurs. Révélateurs ici d'une vision déréalisée de l'entreprise, dominée par une logique financière devenue délirante, où seuls comptent les résultats chiffrés, la fameuse "création de valeur" pour l'actionnaire. Où les cadres sont devenus des "managers" assignés à la réalisation d'objectifs purement quantitatifs, où les employés deviennent des pions interchangeables, essentiellement envisagés en termes de "coûts" et de "charges". Où le "service" rendu à des "usagers" se trouve brutalement réduit à une gamme de "produits" qu'il s'agit de "vendre" à des "clients".
En fait de "mode du suicide", c'est une crise déjà ancienne que vit France Télécom, ancien pilier du service public devenu emblème d'une "privatisation réussie". Depuis des années déjà, les alertes sur le mal-être des salariés de l'entreprise se sont multipliées : insomnies, recours aux anxiolytiques, explosion des arrêts maladie, démissions et, aujourd'hui, suicides sur le lieu de travail. Que s'est-il passé ? Il faut lire l'essai, remarquablement documenté, d'Ivan du Roy, intitulé Orange stressé, pour en prendre la mesure. Voir comment l'entreprise a brutalement glissé de la culture du service public à celle de "machine à cash", comment les priorités se sont déplacées du pôle technique au pôle commercial, comment les traditionnels ingénieurs et polytechniciens se sont vu souffler leur autorité au profit des cost killers, les réducteurs de coûts" formés dans les cabinets de conseil anglo-saxons.
Ivan du Roy montre comment le management par le stress a été érigé en système afin de pousser vers la sortie les salariés les plus réticents face à la nouvelle donne, en particulier ceux qui bénéficient encore du statut de fonctionnaire. En trois ans, de 2005 à fin 2008, 22 000 emplois (17 % du personnel) ont été ainsi supprimés. Quant aux autres, ils sont soumis, au gré des multiples réorganisations, ouvertures et fermetures de sites, à une valse incessante : depuis 2002, chaque salarié change de poste tous les vingt-sept mois en moyenne et de lieu de travail tous les trente mois.
Le plus frappant, dans le livre d'Ivan du Roy, est la description du travail des téléopérateurs chargés de répondre aux appels des clients. Transformés en robots, risquant d'être écoutés à tout instant par leur "manager", ils doivent réciter un script précis sur le même ton uniforme que leurs voisins, respecter la durée moyenne de communication (trois minutes), et quelle que soit la demande du client essayer de lui placer un forfait plus cher, ou un bouquet TV. Il faut "mettre un point d'arrêt à cette situation désastreuse dénonce la CGT".

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