mardi 8 avril 2008

Un reportage du magazine "Options"

Dans le mensuel du mois de mars, du magazine "Options" le journal des ingénieurs et cadres de la CGT, un reportage est consacré à Gandrange, sous le titre "Emploi : Gandrange l'exemple" :

Une entreprise par semaine. Le groupe ArcelorMittal réalise tous les sept jours une acquisition dans le monde. Il s'en sépare avec la même désinvolture. Au début janvier, c'est le site de Gandrange qui a fait les frais de cette incroyable partie de Monopoly à laquelle se livre le géant de l'acier. Raison invoqué par le Pdg de cette multinationale en tête des sociétés du Cac 40 : la première filiale française du groupe est trop peu rentable. Pour garantir la profitabilité de l'empire sidérurgique, il est indispensable de supprimer 600 emplois sur le millier que compte l'établissement... avant de s'attaquer, bien sûr, à l'usine tout entière. Gandrange pour pertes et profits?

Aussitôt connue, la nouvelle a suscité la colère de toute une région. A la disparition des emplois annoncée s'ajoutera, nul n'en doute, le licenciement de quatre cents salariés employés chez les sous-traitants. Et des milliers d'autres suivront en Lorraine, sur ce territoire qui, sur les douze derniers mois, a perdu plus de quatre mille postes de travail industriel : 11% de ceux disparus en France sur la même période, alors que sa population ne représente que 3% de la population totale...

Tout au long du mois de janvier, la CGT, la CFDT et la CGC, ensemble, vont se mobiliser avec les élus locaux et les habitants pour exiger que le groupe revienne sur sa décision. Ne souffrant ni de surcapacités, ni de retard technologique, encore moins d'absence de débouchés, l'usine spécialisée dans les produits longs, l'un des créneaux les plus rentables sur le marché de l'acier, doit vivre, martèlent-ils. Si des erreurs de gestion ont été commises (manque cruel d'investissements et défaut patent de formation, pour commencer), elles ne sont pas rédhibitoires, ajoutent-ils.

D'autant moins que, avec ses 8 milliards d'euros de bénéfices nets en 2007, ArcelorMittal a les moyens financiers d'affronter les difficultés passagères du site. Syndicalistes et élus des communes avoisinantes, représentants du conseil général, régional et du Conseil économique et social de Lorraine, tous sont formels : Gandrange a un avenir. D'anciens cadres dirigeants de l'entreprise viennent en renfort pour étayer cette thèse. Ils ont l'expertise et les compétences pour appuyer le dossier. Au sein du comité de défense du site de Gandrange, ils mettent leur savoir-faire au service d'une alternative industrielle au cas où ArcelorMittal voudrait s'en séparer. La mobilisation est exemplaire...

C'est dans ce contexte, à la mi-février, que la Direction présente aux syndicats un accord de méthode. L'esprit du texte tient en quelques mots : éviter à l'entreprise de s'expliquer. Le délai imparti au comité d'entreprise pour convaincre les plus hautes instances du groupe de la viabilité des alternatives au plan de licenciement en témoigne. Il est court. La Direction se réserve trois petites semaines pour donner son avis sur le plan qui lui est présenté. Le 4 avril, elle communiquera sa réponse. Et le 14 au plus tard, les discussions sur le plan social doivent avoir débuté. Un timing extrêmement serré. Malgré tout, la CFDT et la CGC s'y plient. Dans un tract, elles s'en expliquent : "Seul compte l'intérêt des salariés. Il n'est absolument pas nécessaire de faire durer la procédure au-delà du temps nécessaire. Souvenez-vous, ajoutent-elles, de ce qui s'est passé pour le train à fil de Longwy. Deux ans de procès pour reculer l'échéance." Ne pas lâcher la proie pour l'ombre, négocier un traitement social des licenciements au sein du groupe ArcelorMittal plutôt que de risquer une bataille plus large, mais incertaine pour l'emploi : pour les deux syndicats, il n'y a pas d'autre solution. Une approche que réfute la CGT : "Signer un accord revient à enterrer tout le travail que nous avons accompli", rétorquent Xavier Phan Dinh et Jacky Mascelli, respectivement membre CGT du comité de groupe européen et secrétaire général du syndicat CGT du site : "Tout le monde sait que la direction se moque de nos propositions alternatives. Pourquoi nous précipiter alors que nous avons la population pour nous? Rien ne nous oblige à suivre le calendrier qui nous est proposé." Tant qu'ArcelorMittal n'aura pas présenté de solution industrielle pérenne, rien ne doit être décidé, persiste la CGT. "Tout nous laisse à penser, prévient-elle, que la fermeture de Gandrange est le premier acte d'une restructuration à grande échelle d'ArcelorMittal en Europe.Si nos craintes sont justifiées, les salariés qui accepteront de partir dans d'autres établissements, au Luxembourg ou en Allemagne, seront confrontés demain à d'autres fermetures. Nous battre pour Gandrange, c'est nous battre pour la Lorraine mais aussi pour tous les emplois en Europe."

Mercredi 5 mars, avec le cabinet messin EVS Expertise, la CGT a présenté un plan alternatif à la fermeture du site. En substance : si ArcelorMittal ne s'engage pas à développer le potentiel industriel de Gandrange, d'autres opérateurs peuvent intervenir, et l'Etat et les collectivités territoriales s'engager dans le renouveau industriel de la région. La proposition est argumentée, ambitieuse. Tout laisse à penser que la stratégie est payante : la réunion entre le Conseil économique et social de Lorraine et le conseil régional pour résoudre le dossier Gandrange et définir les pistes de développement industriel dans la région est maintenue pour la fin mars "une rencontre comme il n'en a jamais été organisé en France", assure Gilbert Krausener, représentant le comité régional de la CGT au CES.

Au début avril, Nicolas Sarkozy devrait revenir sur le site pour annoncer ses propositions pour l'usine. Difficile d'imaginer, cette fois, que le chef de l'Etat maintiendra sa proposition d'user de l'argent public pour renflouer les caisses d'une multinationale qui n'a cure de l'avenir de ses établissements. Toute une région, désormais, a des arguments pour une autre solution pour l'emploi.

Martine HASSOUN

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