mercredi 4 juin 2008

Gandrange : Ebauche d'autopsie d'un grand ratage

Le 30 mai 2008, le comité d'entreprise a rendu son avis. Plus rien ne peut empêcher le milliardaire Mittal de fermer l'aciérie et le train à billettes de Gandrange et de saccager 598 emplois. La bataille de l'emploi n'a pas eu lieu, ou si peu... Certes, le baroud d'honneur devant la Préfecture et devant le siège luxembourgeois d'Arcelor s'est bien tenu... comme prévisible, comme planifié par Mr Mittal. Ce dernier n'a jamais pensé qu'un tel choix de gestion allait se passer sans remous.

Mais qu'a-t-on fait pour que les remous se transforment en un tourbillon obligeant l'adversaire à reculer ?
Je soutiens, pour avoir été en première ligne, que seule la CGT a tenté une riposte, sur le terrain de la défense de l'outil industriel. Les autres ont tourné la page dès le début et se sont positionnés sur l'accompagnement social avant même d'avoir tenté de combattre. J'accuse les syndicats majoritaires d'avoir tué toute velléité de combat dès l'annonce du plan Mittal. Et pourtant, on pouvait espérer une bataille exemplaire, peut-être historique, avec un recul de Mittal à la clé. Pourquoi faut-il admettre d'emblée que le capital est trop fort, qu'il ne peut être battu et que finalement seul compte le chèque valise ou le plan de reclassement ?

Une belle bataille ! Pensez donc : tous les ingrédients étaient réunis.

- Un milliardaire qui met plus d'argent (60 millions d'euros) dans le mariage de sa fille que dans la modernisation de l'outil de travail (50 millions d'euros selon l'expert du CE) ;

- Un traumatisme effrayant dans l'opinion, à la mesure de la saignée ;

- Des salariés prêts à se battre, des élus prêts à s'investir et à investir de la monnaie en cas de besoin, et tout cela à tel point que Nicolas 1er en a fait un point de passage obligé de sa campagne d'autopromotion semant au passage quelques solides illusions.

En bref, la région toute entière était prête à se lever

Là où il fallait mobiliser les forces et les imaginations (on aurait pu mener une bataille plus puissante encore que dans le conflit Miko à Saint-Dizier, impulser des initiatives audacieuses et originales, gagner l'opinion régionale, nationale, internationale par cercles concentriques. On répond par du battu et du rebattu. Là où il fallait user de toutes les armes que la loi offre et que l'imagination humaine permet, on répond par l'accord de méthode et la négociation érigée en dogme religieux. Le résultat est là. L'usine fermera et les seules concessions sociales ont été arrachées par la grève soutenue par la seule CGT sous les invectives des syndicats majoritaire n'hésitant pas à manier la rhétorique patronale. La négociation, ou certes, mais en n'oubliant pas que pour négocier avec un patron, comme avec tout adversaire, il faut d'abord être en position de force, et qu'un rapport de force se construit. Nul besoin d'avoir lu Clausewitz ou Ho Chi Minh pour comprendre cela.

L'accord de méthode dans lequel se sont engluées la CFDT et la CGC a eu pour effet de sécuriser le parcours à Mittal. Ce dernier savait dès le départ qu'il serait tranquille, qu'il pourrait s'asseoir sur le beau projet alternatif du comité d'entreprise sans risquer la moindre réaction. Résultat :  le soufflé de la mobilisation est tombé aussitôt faute de perspectives, personne ne nourrissant d'illusion sur la bonne volonté de l'ogre. On ne jette pas les armes aux pieds de César avant d'avoir combattu.
Le combat était-il gagnable ? Certes, rien n'était acquis, mais pouvait-on faire pire que ce qui vient d'arriver ? Qu'on ne vienne pas me dire que tout le monde est reclassé ! On oublie les intérimaires, les sous-traitants, les emplois induits de tout poil, et le détricotage du tissu industriel.
On n'a pas fini de mesurer les conséquences du désastre. Et encore une fois, les seules avancées ont été arrachées par la lutte des grévistes (10 jours de grève). Ce combat-là a bien été perdu faute d'avoir été mené.
Mittal aussi a ses points faibles comme toute cuirasse. La réponse, c'est mener le combat à l'international, chercher l'adversaire où il ne vous attend pas, y compris en Inde s'il le faut ou ailleurs. Va-t-on cesser de garder des illusions sur la motion de partenaires sociaux ?
Aujourd'hui comme hier les avancées sociales et leur préservation s'arrachent par la lutte. Peut-on me citer un seul exemple où le grand capital a promu la moindre avancée sans y être contraint ?
Peut-on me citer un seul exemple d'un accord de méthode qui soit autre chose qu'une méthode d'accord sur la régression ?

De l'imagination, camarades ! Nous ne sommes pas moins ingénieux, moins pugnaces que les patrons, sauf que ceux-ci utilisent des méthodes du XIXe siècle, et que nous avons oublié que l'Internationale des travailleurs est aussi une création du IXIe siècle, et qu'aujourd'hui à l'heure d'Internet et de la Déclaration universelle des droits de l'homme elle serait irrésistible.

Ralph Blindauer , avocat à Metz


Aucun commentaire: