lundi 23 juin 2008

L'enjeu de la RTT

Alors que le gouvernement remet en cause les 35 heures, il n'est pas inutile de revenir sur les enjeux de la réduction du temps de travail qui marque la politique sociale de notre pays depuis 150 ans.
Rober Castel, sociologue, revient sur ces questions et montre les différences qui existent entre une politique de droite et une de gauche.

En quoi la réduction du temps de travail (RTT) peut-elle constituer un axe principal d'un programme politique de gauche ?

La revendication de la réduction du temps de travail est récurrente dans l'histoire. La loi sur les 35 heures, dont la droite dit tant de mal, s'inscrit dans ce processus séculaire. Il y a 150 ans, un prolétaire travaillait environ 70 heures par semaine. La RTT a été un des grand mots d'ordre du syndicalisme révolutionnaire au même titre que les augmentations de salaire. Les acquis de la RTT ont constitué un progrès historique pour les conditions de travail et la façon de concevoir le travail. C'est à ce titre que la gauche doit défendre cette idée. Politiquement justifiable, ce processus de RTT peut l'être aussi économiquement. En effet, il rend possible la mise en place d'une véritable politique de formation des travailleurs et, avec elle, la réalisation de nouveaux gains de productivité. L'évolution de la durée du temps de travail dépend aussi des changements technologiques et des formes d'organisation du travail.

Quels effets peut avoir la RTT sur les rapports des salariés au travail, rapport qui est aujourd'hui marqué par des souffrances liées notamment au stress, à la précarité et au chômage ?

La RTT doit conserver les droits et les protections rattachés à l'emploi. Si elle se construit sur la base d'une condition salariale solide. C'est la base à partir de laquelle le travailleur obtient un salaire et des droits. Mais il ne doit pas passer sa vie à la gagner. Aussi, à partir du moment où le travail permet une sorte d'indépendance sociale du travailleur, ce dernier sera libre de choisir d'autres activités hors travail, lui permettant de s'affirmer et de se construire autrement. Opposer le travail au loisir est ridicule.
C'est le travail qui permet de vrais loisirs. Et il n'est pas illogique de penser l'avenir du travail avec sa réduction. D'autre part, la RTT s'inscrit dans la perspective du "travaillez moins pour travailler tous". Face à un chômage massif, l'idée de répartir le temps de travail disponible est une idée importante, bien qu'elle soit difficile à mettre en œuvre.

Comment envisagez-vous la concrétisation de la RTT aujourd'hui ?

On assiste à une transformation très importante du travail. La conception selon laquelle l'emploi à la sortie de l'école serait assuré dans la même entreprise tout au long de sa vie n'est plus crédible. Aujourd'hui, le salarié doit faire face à des exigences de mobilité, liées par exemple à l'obsolescence de certaines qualifications. Evoluer avec cette mobilité est possible à condition qu'elle ne se traduise pas par une perte de statut, plus de précarité et de chômage. C'est l'idée qu'il y a derrière la sécurisation des parcours professionnels ou la sécurité sociale professionnelle.
Mais le rapport de forces actuel rend la réalisation de ces propositions difficile. La forme actuelle du développement du capitalisme n'assure pas un emploi pour tous comme le montre le chômage de masse et la dégradation de l'emploi. Pour s'en sortir, il ne faudrait pas continuer à dégrader l'emploi mais trouver un certain partage du travail assorti d'exigence de mobilité de la force de travail.

Pensez-vous que la RTT est suffisamment portée dans les propositions politiques à gauche. N'aurait-elle pas besoin d'être replacée au cœur des débats ?

La revendication de la RTT a en effet perdu de sa vigueur. Une partie des dirigeants de gauche sont aujourd'hui plutôt mal à l'aise avec ce sujet. Cette situation fait suite à l'arrivée de cette vague libérale qui consiste en une sorte de valorisation inconditionnelle du travail : travailler à n'importe quel prix.
La revendication de la RTT va à contre-courant de cette poussée libérale. Elle est difficile à porter car le rapport de forces n'est actuellement pas favorable aux salariés. Néanmoins, il me semble que le véritable objectif d'une politique de gauche vis-à-vis du travail serait d'agir pour que les protections du travail soient conservées et adaptées à la conjoncture actuelle. Cela passe par une nouvelle répartition du travail, permise par la RTT et visant à résorber la quantité de non-emplois et de précarité, créés par le fonctionnement actuel des dynamiques économiques. 

 



Aucun commentaire: